Des cotisations sociales sur les revenus de droits d’auteur ?

J’ai déjà présenté dans un billet précédent le régime fiscal avantageux auquel sont soumis les revenus de droit d’auteur en Belgique, qui peuvent être taxés à un taux effectif de 7,5%. Faut-il payer des cotisations de sécurité sociale sur ces mêmes revenus ? Dans un arrêt récent, la Cour de Cassation répond par l’affirmative en ce qui concerne les revenus de droit d’auteur versé par un employeur à ses salariés. En ce qui concerne les indépendants, par contre, il me semble que la réponse négative s’impose.

L’impôt sur le revenu et les cotisations sociales constituent tous deux des prélèvements obligatoires qui frappent les revenus du travail. Ils obéissent toutefois à des règles juridiques distinctes. En 2008, le législateur a créé un régime forfaitaire harmonisé de taxation des revenus de droit d’auteur (dans le cadre de l’impôt sur le revenu), que ces revenus soient perçus à titre professionnel ou non. En revanche, la prise en compte de ces revenus pour le calcul des cotisations de sécurité sociale n’a pas été abordée. Complexité supplémentaire : il existe différents régimes de sécurité sociale (principalement celui des travailleurs salariés et celui des travailleurs indépendants), chacun ayant ses règles propres.

Pour les salariés

Il est parfaitement possible qu’un salarié soit amené, dans l’exercice de sa profession, à créer des œuvres protégées par le droit d’auteur. On pense en premier lieu aux métiers « créatifs » (designer, réalisateur, journaliste…), mais également aux développeurs de logiciels et de bases de données, aux rédacteurs de documents techniques et commerciaux, etc. Le contrat de travail peut prévoir la cession à l’employeur des droits d’auteur sur ces créations (c’est une précaution utile, une telle cession n’étant pas automatique sauf en matière de logiciels) et les parties peuvent convenir de rémunérer le salarié pour cette cession, distinctement du salaire versé en contrepartie de son travail.

En matière d’impôt sur le revenu, une telle distinction est admise : le salaire sera imposé comme revenu professionnel au taux progressif et les revenus de droit d’auteur, comme revenus mobiliers imposés forfaitairement. Le service des décisions anticipées (en charge du « ruling ») l’a récemment admis pour des journalistes (ici) et pour des développeurs de logiciels et des responsables marketing (ici).

C’est dans un tel cas que la Cour de Cassation était amenée à se prononcer : l’ASBL organisatrice de représentations théâtrale versait à ses salariés acteurs et musiciens, en plus de leur salaire, une rémunération mensuelle forfaitaire en contrepartie de la cession de leurs droits.

cour de cassation

La Cour de Cassation sait de quoi elle parle dans le domaine artistique

La Cour rappelle que le « salaire », au sens de la réglementation sociale, comprend tous les montants et les avantages évaluables en argent qui sont accordés par l’employeur au travailleur en contrepartie de ses prestations de travail. Prenant en compte le fait que les droits cédés se rapportent à des créations réalisées en exécution du contrat de travail, la Cour décide que la rémunération versée par l’employeur à ce titre fait bien partie du « salaire » sur lequel les cotisations sociales sont calculées.

Les conséquences sont importantes, puisque l’employeur doit payer des cotisations patronales (35% des sommes versées, en plus de celles-ci), et l’employé, des cotisations sociales (13,07% des sommes perçues), sur les revenus concernés.

Pour les indépendants

Pour les indépendants, les cotisations sociales sont calculées sur la base des « revenus professionnels » et, plutôt qu’une définition propre comme dans le cas des employés, il est renvoyé à la législation fiscale pour cerner les contours de la notion.

Or, les revenus professionnels sont ceux visés par la section IV du code des impôts sur le revenu (articles 23 et suivants). En revanche, les revenus de droit d’auteur sont, depuis 2008, des »revenus de capitaux et de biens mobiliers » visés par la section III du même code. Il s’agit d’une catégorie distincte qui est, par répercussion, exclue du calcul des cotisations sociales. Ce raisonnement a été confirmé par la ministre en charge devant le parlement. Les indépendants sont donc dispensés de payer des cotisations sociales (à 22% sur la première tranche, 14,6% sur la deuxième) sur les revenus qu’ils tirent de la cession ou de la concession de leurs droits d’auteur.

Pour être complet, rappelons que les revenus de droits d’auteur ne sont qualifiés de revenus mobiliers que jusqu’à un certain plafond (57.080 € en 2014). Au-delà, ils pourront être qualifiés de revenus professionnels et donc soumis aux cotisations sociales.

Que conclure ?

Premièrement, la solution retenue par la Cour de Cassation ne s’imposait pas nécessairement et l’avis contraire était même largement répandu. Aujourd’hui encore, de nombreux sites d’information renseignent que les revenus de droit d’auteur ne sont pas soumis aux cotisations sociales, y compris ceux perçus par les salariés. Il semble que l’ONSS elle-même l’admettait jusque à présent (dans certains cas uniquement ?). Attention donc à régulariser des situations éventuellement problématiques.

Deuxièmement, si cette distinction -importante en pratique- entre travailleurs salariés et indépendants repose sur une certaine logique (vu la différence de règles applicables), elle n’apparaît pas très opportune. On se rappellera en particulier que la loi de 2008 visait à mettre fin aux divergences observées en pratique quant à la qualification juridique de ces revenus et à harmoniser et à simplifier leur traitement fiscal.

Enfin, il faut être particulièrement attentif aux conséquences de cet arrêt sur certains régimes particuliers ou certaines situations hybrides. Je songe en particulier au statut d’artiste et aux nombreux créateurs qui gèrent leur activité via l’ASBL Smart, qui remplit à leur égard les obligations fiscales et sociales d’un employeur, tout en leur permettant de se comporter comme des indépendants. Je leur conseille de clarifier rapidement la situation sociale des revenus de droits d’auteur qu’ils perçoivent directement de leurs clients ou via une structure intermédiaire, pour éviter les mauvaises surprises.