Dashcams et vie privée : un road-movie semé d’embûches

Les « dashcams », ces petites caméras embarquées dans l’habitacle des voitures, on fait l’actualité en ce début 2014. Déjà populaires dans d’autres parties du globe, en particulier en Russie pour le grand bonheur internautes avides de compilations d’accidents en tous genres, elles ont fait une entrée remarquée dans le paysage médiatique belge avec la diffusion de cette vidéo d’un conducteur de BMW M3 adepte de manœuvres fort peu orthodoxes.

C’est l’occasion, pour certains, de rappeler que l’enregistrement et la diffusion d’images de personnes identifiables peuvent être encadrées par les législations protectrices de la vie privée. En première ligne – et c’est son rôle – la Commission pour la protection de la vie privée publie un court dossier thématique sur le sujet. Et rappelle, dans certains médias, que le conducteur ayant filmé le chauffard et diffusé la vidéo risque une amende de 150 à 600 €, ce dont s’est ému le rédacteur en chef de datanews dans un récent édito où il considère que la loi (boiteuse) est dépassée par la réalité.ill-be-watching-you

Peut-on installer et utiliser une dashcam ?

Il n’est pas facile d’y voir clair, car le régime juridique des caméras (au sens large) n’est pas unifié. Ce n’est donc pas une mais plusieurs lois qu’il faudra prendre en considération et qui seront applicables ou non selon le contexte.

Plus précisément, c’est l’intention de la personne qui place et utilise la caméra qui sera le critère déterminant. On peut distinguer quatre cas de figures, qui peuvent parfois s’appliquer cumulativement:

  • l’usage de caméras à des fins purement privées ;
  • l’usage de caméras aux fins de prévenir ou de détecter des infractions ;
  • l’usage de caméras aux fins de surveiller des travailleurs ;
  • l’usage de caméras pour d’autres motifs.

L’usage d’une dashcam à des fins privées est la situation la plus facile à appréhender puisqu’elle n’est pas encadrée par une loi spécifique. Il est ainsi parfaitement autorisé d’en placer une pour réaliser un road movie de ses vacances, pour se souvenir des itinéraires empruntés ou parce que l’on adore le bruit de son moteur.

pictogram 188x264_0Les dashcams qui visent à prévenir, constater ou déceler des délits contre des personnes ou des biens sont des « caméras de surveillance » réglementées par une loi de 2007. Ce sera par exemple le cas de dashcams utilisées par les voitures de police pour filmer les infractions commises par les conducteurs, ou de celles installées dans les voitures d’une société de gardiennage en patrouille pour filmer les tentatives d’intrusions dans les lieux surveillés. On peut également penser à des dashcams filmant l’habitacle d’un taxi afin de dissuader et de constater les agressions commises sur le chauffeur. Les caméras utilisées à des fins de surveillances doivent être signalées par le pictogramme ci-contre ; vous l’avez sûrement déjà aperçu.

Les dashcams sont des caméras de surveillance « mobiles » au sens de l’article 7 de la loi. Les conditions pour utiliser de telles caméras sont tellement drastiques que leur utilisation est, dans les faits, réservée aux forces de police.

Les dashcams peuvent également être utilisées pour surveiller des travailleurs. On songe ici aux caméras installées dans l’habitacle ou sur le pare-brise des taxis, véhicules de livraison et autres poids lourds afin de vérifier si le chauffeur respecte les instructions de son employeur. L’utilisation de telles caméras est réglementée par une convention collective de travail n°68 datant de 1998. On en retiendra surtout une obligation de transparence : avant d’avoir recours à des caméras, l’employeur doit en informer les organes de concertation sociale. Il précise notamment la finalité poursuivie, le fait que les images sont ou non conservées, le nombre et l’emplacement des caméras et les périodes pendant lesquelles les caméras fonctionnent.

Enfin, les autres dashcams qui ne sont utilisées ni à des fins de prévention ou de détection des infractions, ni à des fins de surveillance des travailleurs et hors du contexte privé, sont régie par la loi « générale » sur la vie privée du 8 décembre 1992. Ce sera par exemple le cas de dashcams utilisées par des journalistes lors de la réalisation d’un reportage. La loi vie privée n’est pas spécifique aux caméras mais couvre tout traitement automatisé de données à caractère personnel, qui peuvent avoir lieu dans des contextes très différents.

Il serait fastidieux d’expliquer ici le régime relativement compliqué mis en place par cette loi. Retenons qu’elle s’articule autour de 3 principes importants. Le principe de finalité exige que les finalités du traitement soient connues, légitimes et explicites. En d’autres termes, il est interdit de collecter des données personnelles sans but précis, en voyant plus tard ce que l’on peut en faire. Le principe de proportionnalité impose que les traitements ne dépassent pas ce qui est nécessaire à l’accomplissement des finalités et ne portent pas d’atteinte disproportionnée à la vie privée des personnes concernées. Enfin, le principe de transparence oblige à informer les personnes concernées des traitements de données les concernant et à leur donner un accès à ces données. Pour plus d’informations, je vous renvoie aux explications très pédagogiques publiées sur le site de la Commission pour la Protection de la Vie Privée.

Que retenir ?

Comme vous l’aurez constaté, le régime juridique des dashcams dépend très largement de l’intention de celui qui les utilise ou, en d’autres termes, des finalités qu’il poursuit – ou déclare poursuivre. Ceci correspond à une certaine logique mais peut également entraîner des effets pervers. Ainsi, l’utilisation de deux dashcams placées dans des situations identiques peut être soumise à des conditions très différentes (strictes ou souples) selon l’intention déclarée de leur utilisateur.

En ce sens, le rédacteur en chef de Data News n’a pas tout à fait tort quand il estime que la loi est dépassée par les usages. La disponibilité croissante des caméras (pensons seulement aux smartphones) multiplie les enregistrements d’images sans but précis, alors que la loi accorde une place centrale aux finalités poursuivies.

C’est d’autant plus paradoxal que le régime juridique de la réutilisation des images capturées pour d’autres buts que la finalité initiale est lui-même relativement compliqué. Nous avons par exemple vu qu’il est pratiquement impossible pour un particulier d’installer une dashcam afin de constater des infractions commises par d’autres chauffeurs. Il est par contre parfaitement autorisé, sans aucune condition, à utiliser une caméra pour son usage privé. Que se passe-t-il si une telle caméra privée filme occasionnellement un conducteur commettant une infraction ? On pourrait penser que ces images devront être écartées lors d’un éventuel procès, mais il n’en est rien : une preuve recueillie en violation du droit à la vie privée de la personne concernée pourra malgré tout être utilisée sauf si la loi a expressément prévu un cas de nullité, si l’irrégularité commise a entaché la fiabilité de la preuve ou si l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable (ce sont les conditions dégagées par la jurisprudence dite « Antigoon »).

L’utilisation de caméras « de surveillance » (au sens large) hors du contexte strictement privée est une question complexe qui n’est malheureusement pas réglée de manière tout à fait cohérente. Il n’est donc pas inutile de se renseigner soigneusement tant en vue de l’installation de telles caméras que pour l’utilisation des images capturées.

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